Amour : homme et femme

Regardons la société humaine dans son ensemble. Ne sommes-nous pas impressionnés à la vue d’un fourmillement continuel qui agite les individus ? Sans cesse les personnes se côtoient, se croisent, s’unissent, se séparent. Au sein de ce brassage, le sexe masculin et le sexe féminin manifestent ce phénomène permanent de s’attirer l’un l’autre.

Des couples se font, d’autres se défont. Malgré des échecs répétés, l’homme et la femme se cherchent constamment et se veulent entièrement. L’un et l’autre sont animés d’un vif désir d’atteindre un bonheur à deux.

Dans leurs attitudes d’attirance mutuelle, les sexes ne présentent pas les mêmes dominantes. Nous avons observé que, pour susciter l’attention du sexe complémentaire, la femme cherchait à plaire, tandis que l’homme s’efforçait de se faire admirer. Il ne s’agit pas là d’exclusivité, mais de deux tendances qui prédominent.

En effet, la femme ressent un vif plaisir à provoquer sur le sexe masculin des impressions agréables ; à ces occasions, elle éprouve une satisfaction qui frise la jouissance. Certaines même n’hésitent pas à développer ce penchant de leur nature au détriment de l’amour profond ; elles sont continuellement soucieuses d’éveiller chez l’homme des désirs ardents ; dès qu’elles pensent y avoir réussi, elles se désintéressent de l’individu fortement impressionné pour entreprendre une autre conquête.

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Recherche de beauté chez l’épouse

Quelques épouses se plaignent d’être forcées de prendre un soin minutieux de leur beauté ; elles considèrent, disent-elles, cette obligation comme une corvée dont seuls les maris sont les heureux bénéficiaires. N’est-ce pas un égoïsme masculin, pensent-elles, qui pousse l’homme à vouloir vivre avec une femme jolie, élégante, gracieuse ?

Il est exact que des maris veulent des femmes belles uniquement pour leur plaisir personnel ; leur sens esthétique les incite à se rapprocher d’une beauté féminine avec la même joie que s’il s’agissait d’une couvre d’art ; d’autres demandent que l’épouse soit jolie uniquement pour maintenir en eux une ardeur sexuelle. Dans leur exigence, ces individus oublient la vraie valeur humaine de la femme qui n’accepte pas d’être traitée en pur objet de plaisirs.

Il serait imprudent d’admettre cette complainte féminine sans faire une petite réserve. Si vraiment il n’y avait pas pour la femme une satisfaction d’être belle pour susciter le désir de l’homme, elle n’envierait nullement celles qui recueillent le plus de suffrages masculins ; que lui importeraient les compliments qui ne lui sont point adressés ? Aucune déception ne viendrait l’effleurer au moment où elle se rend compte qu’elle ne fait aucune impression sur la sensibilité masculine ; bien au contraire, elle devrait se réjouir d’être débarrassée de la corvée de plaire…

Il est vrai que, pour ressentir l’agréable sensation d’impressionner favorablement l’homme, la femme doit avoir assez de féminité pour, goûter cette joie qui vient de sa nature sexuée. Évidemment, si elle n’est qu’occasionnellement femme, sa finesse n’est pas suffisamment profonde pour capter les nuances de ses tendances féminines. Pour de telles personnes, les soins qu’exige la toilette ne peuvent être qu’une pure obligation sans plaisir.

Quant aux épouses qui considèrent que les soins esthétiques sont pour elles une corvée, elles devraient examiner de plus près la valeur de leur affection conjugale. Elles découvriraient facilement une réelle diminution de leur tendresse pour leurs maris ; car une femme qui aime est par nature portée à se vouloir belle pour celui qu’elle chérit ; il ne s’agit pas d’une corvée, mais d’un témoignage d’amour.

Mais que de fois la femme mariée ne pense plus à son époux ! Elle recherche la toilette pour satisfaire uniquement son goût personnel ; sans tenir compte du sens esthétique de son mari, elle se laisse aller à toutes ses fantaisies ; elle est belle en égoïste. Quelques-unes, sous le couvert d’un respect apparent pour leurs époux, n’ont en vue que de susciter l’admiration des autres hommes… Alors le mari, frustré du don de sa femme, a l’impression d’un malaise ; car il se sent exclu de cette beauté ; son épouse n’est plus à ses yeux qu’une poupée vide d’amour ou qu’une aguicheuse qui continue sa petite comédie au détriment d’une affection profonde. Peut-on s’étonner ensuite de voir des femmes belles délaissées par les hommes !

Seule l’épouse féminine et généreuse ne se plaint pas de rechercher une beauté qui plaise à son mari. Elle sait qu’il faut parfois dominer certains de ses désirs pour accorder sa beauté au goût de son époux ; mais quelle compensation en se voyant entièrement désirée par l’homme qu’elle aime !

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Comment l’époux désire son épouse

Car la femme veut être désirée ; non seulement désirée, mais encore la plus désirée. Elle sent instinctivement que c’est dans un mouvement de désir que la nature masculine se donne le plus profondément. Il ne s’agit pas, comme on l’imagine souvent, d’une simple convoitise sexuelle, mais d’un élan de l’homme qui se donne tout entier en prenant toute la femme.

Aussi l’épouse craint-elle tout ce qui pourrait empêcher, minimiser ou tuer le désir chez l’homme. Elle veille à rester attrayante ; elle s’ingénie à renouveler son charme ; elle se préoccupe de retarder les effets du vieillissement. Que de souffrances cachées chez celle qui perçoit dans le miroir sa jeune beauté se flétrir ! La sensation de l’écoulement inexorable du temps meurtrit cette sensibilité ; mais combien plus douloureuse la crainte d’être moins aimée !

Appréhension d’autant plus grande que la femme n’a pas su apporter à l’homme une valeur authentiquement féminine. Ne s’étant contentée d’offrir au mari qu’un extérieur attirant, la voilà délaissée après des périodes d’exaltantes satisfactions. Elle est déçue, découragée, écœurée. Elle taxe l’homme de pure sensualité. Mais il arrive parfois, même très souvent à l’heure actuelle, que la femme est trop pauvre en sentiments pour être une richesse humaine qui comble la nature masculine. Si elle ne veut pas être un simple objet de plaisirs que l’homme goûte à l’occasion, apprécie momentanément, délaisse ensuite, elle doit prendre conscience de la nécessité, pour elle, de ne pas être superficiellement féminine.

Que de fois les hommes sont déroutés, rebutés, atterrés en face d’un vide de féminité qu’ils ressentent derrière les apparences les plus flatteuses. Après s’être généreusement donné à la femme qu’il voulait aimer de tout son être, le mari se trouve devant une beauté sans vie, un sentimentalisme sans douceur, une sexualité sans grandeur. À la suite de quelques expériences malheureuses, l’homme n’a plus qu’une opinion méprisante pour le sexe féminin qu’il considère dépourvu de toute profondeur humaine.

Si la femme déçoit par son manque de féminité, l’homme est parfois aussi cause de révolte. Que de maris portent tout leur désir sur un des côtés agréables de leurs épouses ! Tantôt ils s’arrêtent au niveau de la pure sexualité, tantôt ils admirent la beauté féminine en elle-même. Par ce manque de profonde intimité, la femme se sent méprisée ; ce n’est pas elle que l’homme désire, mais son corps qu’il veut. Elle éprouve du dégoût et se rebelle contre cet avilissement.

Quelquefois, l’homme se plaint que sa femme s’inquiète fort peu de sa beauté. II ne la trouve pas assez coquette à son goût ; il voudrait la voir mieux habillée, plus à la mode, moins négligée.

Ce reproche ne s’adresse pas toujours en justice à l’épouse. Les soucis quotidiens et les préoccupations du budget familial restreignent parfois les possibilités de toilette. Mais il arrive aussi que le mari soit la cause première de ce laisser-aller. Après le mariage, l’homme se désintéresse trop souvent de la beauté de sa femme ; son indifférence décourage celle qui ne sait même plus si ses toilettes plaisent ou non à son époux. Certains maris ne font des observations qu’au moment où quelques détails de beauté les heurtent ; à part ces remarques, parfois ironiques, jamais un seul petit mot d’admiration et de reconnaissance pour celles qui dans leur générosité d’amour veulent être belles pour eux !

Qu’il y aurait plus de tendresse chez les époux, plus de saveur dans la vie conjugale, plus de beauté dans le foyer, si seulement le mari portait un peu plus d’attention aux charmes de sa femme ! Avec quelle gratitude l’épouse recevrait alors l’affectueux compliment que lui adresse celui dont elle voudrait être tout le désir !

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Comment l’épouse admire son époux

Lorsqu’un homme veut attirer à lui l’attention d’une femme, il cherche instinctivement un moyen de susciter l’admiration. Cette tendance s’estompe souvent après le mariage ; mais il faut bien reconnaître que l’amour s’affermit dans un foyer lorsque l’épouse admire son mari.

Il ne s’agit pas d’une contemplation béate qui aboutit à l’effacement de la femme, ni d’une louange continuelle adressée à l’homme, mais d’un sentiment délicat, respectueux, confiant, qui prédispose la nature féminine à se livrer totalement à la puissance masculine. C’est dans ce mouvement qui envahit peu à peu toute cette nature que l’amour naît au plus profond de cette vitalité humaine. En effet, la femme qui admire est déjà sur le chemin de l’amour.

Souvent, après un temps de vie conjugale, l’admiration que la jeune fille portait sans réserve à son fiancé se ternit et disparaît. Le mari se sent devenir peu à peu sans valeur pour son épouse ; tout ce qu’il raconte, entreprend, réussit, ne produit aucun effet sur sa femme. Il se demande même comment il pourra lui apporter quelque satisfaction de fierté en dehors des présents coûteux qui flattent la sensibilité féminine ; il voit que, par son travail, ses efforts, ses succès, il ne peut pas éveiller une joie d’admiration qui conduise à l’amour.

Aussi l’homme reproche-t-il à son épouse de ne pas admirer ce qu’il fait. Au lieu de comprendre le sens de cette requête, la femme, vexée, pense fermement que ce désir exprime un orgueil masculin. Elle regimbe même contre cette exigence du sexe fort !

Certes, des individus font preuve d’orgueil ; ils cherchent à être complimentés, applaudis, admirés. Leurs richesses, leurs dons naturels, leur position sociale peuvent bien momentanément susciter l’admiration féminine ; mais leur apparente personnalité laisse percevoir la vanité de ces prétendues valeurs humaines. Un mouvement se dessine alors chez la femme ; elle se cabre, car elle ne peut admirer sans aimer ; or, toutes les puissances de l’univers ne peuvent la contraindre à aimer ce qu’elle méprise.

Cette réaction de défense correspond au refus de l’homme d’aimer la femme qui ne lui paraît point belle.

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Méprise sur les rapports de supériorité/infériorité

Beaucoup d’entre nous soutiennent que dans un ménage l’homme doit être supérieur à son épouse. Les foyers où la femme exerce une profession qui la classe au-dessus de son mari finissent toujours par perdre leur solidité ; l’amour s’étiole et le ménage se dissout très souvent.

Pour bien examiner ce problème, il est nécessaire de l’envisager sous différents angles.

Tout d’abord, il est faux de croire qu’il faille une supériorité de l’homme sur la femme. Toujours imbus de l’idée qu’il n’y a qu’un étalon de valeurs humaines : l’étalon masculin, nous parlons de l’unique supériorité de l’homme. II s’agit, en vérité, d’une supériorité de l’homme dans son domaine d’homme. Dans cette perspective, le mari doit être supérieur à son épouse. Mais il existe une autre supériorité qui vaut tout autant que la supériorité masculine : la supériorité de la femme dans son propre domaine féminin. Lorsqu’une épouse se voit dépassée en valeur par son mari dans la perspective féminine, la femme est aussi amoindrie ; en conséquence, il y a tôt ou tard une baisse d’estime de l’homme pour son épouse.

Lorsque, dans un foyer, l’un des sexes se montre supérieur dans le domaine de l’autre, il en résulte toujours une diminution de respect, d’admiration, d’amour.

Les femmes qui ont acquis dans le domaine masculin une supériorité ont habituellement du mépris ou de la condescendance, ce qui ne vaut pas mieux, à l’égard des hommes qui se trouvent en état d’infériorité. Tant que cette position n’intéresse pas directement les conjoints, les conséquences sont moins cruelles. Mais si l’épouse est supérieure à son mari dans le domaine masculin, la situation peut devenir dramatique. Après avoir eu des velléités d’amour, la femme ne se sent pas attirée par un être qu’elle estime inférieur. Certes, elle peut lui témoigner de la pitié ou l’entourer d’affection quasi maternelle, mais elle est incapable d’aimer éperdument de tout son être ; elle finit par rester seule en elle-même, impuissante à se fusionner avec une vie d’homme. La solitude sentimentale au sein d’un foyer finit par peser de tout son poids sur cette nature de femme ; alors l’épouse rêve d’aimer un être qui lui soit « supérieur » ; elle aspire à s’anéantir auprès de celui qu’elle admire par-dessus tout. En réalité, si la femme est tellement désireuse de rencontrer un homme qui lui arrache son admiration, c’est parce qu’elle voudrait enfin aimer de tout elle-même… et sans admirer, elle ne le peut.

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Répondre au besoin d’admiration de l’épouse

Certaines épouses se lamentent de ne pas pouvoir estimer leurs maris ; ceux-ci se comportent dans leurs foyers avec si peu de virilité qu’elles finissent par croire que ce ne sont pas des hommes. Bien souvent elles avouent ne pas avoir une grande affection pour de tels individus ; elles font semblant de les aimer encore ; mais leur apparente tendresse n’est qu’une pitié déguisée.

Cet échec de l’amour véritable n’est pas toujours imputable à l’homme. L’épouse a très souvent, pour des raisons diverses, minimisé le rôle du mari dans le foyer. Pour ne pas être sans cesse obligé de contrarier les caprices, les exigences, le despotisme de son épouse, il préfère abandonner la lutte, se replier sur lui-même, s’effacer. Après des années, lorsque les difficultés surviennent, la femme voudrait pouvoir compter sur l’homme ; mais elle ne retrouve plus cette virilité qu’elle a sapée depuis si longtemps. Un dégoût l’envahit alors ; elle finit par mépriser ce qu’elle a détruit elle-même.

Si la femme veut posséder le bonheur d’aimer, elle doit savoir choisir et respecter celui qu’elle peut admirer. L’homme qui veut se placer dans la perspective de l’amour féminin doit savoir aussi susciter une légitime admiration.

C’est, en effet, dans cette admiration de femme, admiration chargée d’amour, que se situe le stimulant le plus puissant qui soulève l’homme au-dessus de lui-même. Celui-ci éprouve la nécessité de s’élever toujours plus pour pouvoir être admiré jusqu’à l’amour ; la femme, de son côté, désire de tout son être que celui qu’elle aime devienne à ses yeux toujours plus grand pour se laisser emporter d’admiration jusqu’au don total d’elle-même. Elle est alors l’inspiratrice, le soutien, l’instigatrice des efforts de l’homme. Ce n’est pas un rôle subalterne, mais une valeur d’intériorité qui est l’irremplaçable grandeur de la femme. L’homme, conscient de cette stimulation d’amour, est heureux d’apporter les fruits de ses efforts à celle pour qui il a tant voulu être admirable.

Certaines femmes envient les hommes de pouvoir ainsi recueillir de la gloire. Pour cela, elles s’ingénient à réaliser des prouesses peu communes pour susciter l’admiration des hommes. Elles sont encouragées, complimentées, applaudies. À leur grand étonnement, les hommes, en général, se détournent d’elles pour choisir comme épouses des femmes plus modestes, sans grand talent, sans réputation. Dépitées, elles accusent les hommes de jalousie ou d’ignorance des « vraies » valeurs.

II s’agit, en réalité, d’une méprise. Les femmes qui n’ont pas une grande intuition plaquent leur psychologie féminine sur la psychologie masculine. Aussi croient-elles se faire aimer en suscitant l’admiration puisqu’elles ne peuvent sentir monter en elles un tel sentiment sans éprouver le besoin de se donner. Mais chez l’homme il y a une nette séparation entre le sentiment d’admiration et le don d’amour. Bien plus, l’attention masculine est détournée de la personne admirée pour être concentrée sur l’action admirable en elle-même ; c’est la réussite en tant que réussite qui est sujet d’émerveillement. L’expérience est là pour montrer que les femmes les plus applaudies n’ont pas toujours été celles qui ont été les plus aimées.

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Conjuguer désir et admiration

Qu’il s’agisse du désir que ressent l’homme pour la femme ou de l’admiration qu’a la femme pour l’homme, le bénéficiaire est l’amour. En effet, l’épouse doit pouvoir se réjouir en voyant son mari venir si aisément à elle sous la poussée d’un désir total ; et l’homme doit être reconnaissant pour celle qui lui rend si facile son don d’amour. De même, le mari peut se féliciter de stimuler l’affection de son épouse par son attitude admirable ; tandis que la femme lui doit de la gratitude en se sentant transportée jusqu’à l’amour par une légitime admiration.

Ainsi, dans une aide mutuelle, l’homme et la femme accroissent leur affection, soutiennent leur tendresse, resserrent les liens de leur intimité. Ils s’aiment avec plaisir, respect, reconnaissance. Aimer devient pour eux une joie qui pourra s’approfondir jusqu’au bonheur.

Cette attirance réciproque qui draine avec elle l’amour constitue un facteur qui doit être maintenu au cours de toute la vie des individus. Par des élans alternatifs de désir et d’admiration, l’homme et la femme peuvent lutter efficacement contre la monotonie de l’existence quotidienne, les différences inévitables des caractères, les difficultés de chaque jour.

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Bonheur conjugal et identité

Pour que l’intimité conjugale puisse progresser vers une fusion de plus en plus complète, les deux natures qui s’unissent doivent être réellement complémentaires sur tous les plans de la réalité humaine : l’homme doit être entièrement homme et la femme doit être entièrement femme.

La condition est indispensable. Certes, il existe des individus qui poursuivent une existence « conjugale » de compagnonnage et prétendent même y trouver leur bonheur.

Évidemment, chacun a sa petite idée sur le bonheur, Pour les uns, il consiste en une vie comblée de plaisirs, remplie d’aventures, pleine de libertés fantaisistes. Pour d’autres, il se résume en une existence réglée, paisible, constante. Chaque individu peut tenter alors de réaliser son bonheur au niveau même de son tempérament particulier. Mais s’il demande à une personne de sexe complémentaire de s’unir à lui pour orienter le bonheur dans le sens d’une intimité vitale, il doit alors comprendre qu’ils sont désormais deux à tenter un bonheur qui soit leur bonheur.

Or, que de fois l’un ou l’autre des conjoints fait dévier à son profit l’existence conjugale ; c’est l’homme qui rabaisse le mariage à un compagnonnage en associant son épouse à son activité masculine ; c’est la femme qui asservit son mari à ses désirs capricieux.

On pourrait objecter qu’il importe peu de savoir comment des époux organisent leur existence commune, pourvu qu’ils soient heureux.

Cette remarque contient une part de vérité. Des individus peuvent, en effet, se satisfaire de peu. Une nature humainement pauvre n’exige pas d’immenses bienfaits pour être comblée ; on aspire généralement à ce qu’on est capable de recevoir.

Cependant, nous devons nous méfier de ces jugements individuels sur le bonheur. Quelques-uns proclament qu’ils ont trouvé le chemin conduisant à leur plénitude vitale. Mais si nous voulons porter des appréciations valables sur le sens du bonheur, il faut attendre des années pour nous rendre compte si les estimations n’avaient pas été faites en fonction d’un contentement passager. Il n’est pas rare de voir des époux se séparer après quelques années de vie commune malgré leurs anciennes proclamations retentissantes d’avoir rencontré le bonheur.

On ne rencontre pas le bonheur, on le fait et dans le mariage on le fait à deux.

Mais pour prétendre en bénéficier un jour, il faut savoir aboutir à une mise en commun de toutes les richesses des deux natures sexuées. C’est un don sans réserve que les époux doivent faire d’eux-mêmes pour parvenir à se combler mutuellement. Seulement cette généreuse entreprise exige des précautions, des efforts, des sacrifices pour diriger, intensifier, purifier le don conjugal. En face de ces exigences inévitables, certains biaisent ; ils réduisent leur amour à des moments d’intenses affections. Quant au reste de l’existence, ils s’efforcent de délimiter un partage sans avoir trop à souffrir ; ils vivent côte à côte et non l’un pour l’autre. Ne dit-on pas vulgairement qu’il faut en ménage savoir couper la poire en deux ? Seulement voilà… le bonheur conjugal ne consiste pas à couper la poire en deux, mais de manger la poire à deux. Voilà le difficile et seuls les généreux peuvent prétendre être de plus en plus satisfaits en s’oubliant eux-mêmes pour que l’un et l’autre se vivent dans un don mutuel.

Ce n’est qu’au fur et à mesure que la carapace de l’individualisme fond sous l’effet d’une générosité intelligemment voulue, que les conjoints deviennent l’un pour l’autre deux sources vitales qui se veulent toujours plus totalement. Alors les époux peuvent se dire plus vraiment chaque jour : « Je t’aime tout toi de tout moi. »

Cette mise en commun est d’autant plus vivifiante qu’elle fusionne deux vitalités plus riches par leurs différences. Le bonheur à deux ne consiste pas en un doublage de capacités, il est dans une complémentarité humaine qui conduit à la complétude vitale. Il existe des foyers qui ne sont, en réalité, que des équipes au sein desquelles la collaboration est utile, non indispensable ; chaque époux se suffit plus ou moins à lui-même. Mais si chacun des conjoints apporte toute sa part qui découle de sa nature sexuée, il se sait alors indispensable à l’autre et l’autre indispensable à lui. Il ne s’agit pas là d’une servitude, mais d’une authentique complémentarité biologique qui est la condition première du bonheur conjugal. Il faut que l’homme et la femme se sentent l’un pour l’autre indispensables dans la vie matérielle, indispensables dans la vie sentimentale, indispensables dans la sexualité, indispensables dans la vie familiale.

Il est évident que cette situation comporte des risques individuels, puisque l’un est tenu par l’autre. L’amour n’est-il pas un risque ? Ne comporte-t-il pas pour chacun des époux la peur d’être trompé, délaissé, exposé aux pires difficultés de l’existence dès que l’un des conjoints viole sa promesse d’amour, quitte le foyer ou meurt. Certes, il faut prévoir des garanties pour éviter des misères futures, mais faut-il encore que ces garanties n’aboutissent pas à la destruction de l’amour, car l’amour contient la nécessité d’être indispensable l’un à l’autre sur tous les plans de la vie.

Alors chacun a une raison d’effort, une raison de lutter, une raison de vivre, puisque l’être aimé ne peut subsister sans cet apport généreux. Il sait aussi que l’autre attend toute cette part comme un témoignage d’amour. Ce n’est pas une contrainte, un avilissement, une servitude, c’est une raison de vivre l’un pour l’autre.

Aussi l’amour qui envahit toutes les puissances des deux natures sexuées devient-il un amour indispensable. Et dans une affection reconnaissante, les époux s’avouent l’un à l’autre : « Je ne puis vivre sans toi. »

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Construction progressive du bonheur conjugal

Toutefois, cette fusion vitale de plus en plus intime ne s’accomplit que progressivement.

Il est certain que de graves illusions peuvent faire croire que l’amour est parfois atteint d’emblée. Au début des relations entre homme et femme, les sensations agréables peuvent être si intenses que l’on pense vivre le bonheur total… jusqu’au moment où, les impressions diminuant, le prétendu amour s’envole en souvenirs décevants.

En réalité, le bonheur conjugal résulte d’une compénétration de plus en plus intime de deux vitalités sexuées. Or, cette compénétration ne se réalise que lentement, au prix d’efforts persévérants. Seulement, au fur et à mesure que cette fusion s’accomplit, de nouvelles émotions agréables naissent et dans leur enthousiasme les époux s’écrient l’un à l’autre : « Je t’aime de plus en plus. »

En même temps que se poursuit cette compénétration, les deux natures sexuées se modèlent l’une sur l’autre ; elles s’épousent. Cet ajustement vital s’affine, se nuance, se précise. Peu à peu à chaque valeur d’un sexe correspond une valeur complémentaire. Ainsi deux vitalités particulières s’adaptent réciproquement avec une telle exactitude que l’une devient bien la moitié de l’autre. En même temps que se précise cette adaptation, les deux natures excluent toute profonde adaptation étrangère. À tel homme correspond telle femme et à telle femme correspond bien tel homme.

L’exclusivité à deux est la preuve que l’intimité est parvenue à un certain degré de profondeur humaine. Ce n’est pas une tendance à l’égoïsme et à la jalousie, comme le suggèrent actuellement un grand nombre d’esprits superficiels, mais une exigence inhérente à un amour total. C’est précisément la preuve d’un don véritable lorsque les conjoints peuvent s’affirmer l’un à l’autre : « Je n’aime que toi. »

Dans leur effort de fusion vitale, les êtres humains s’aperçoivent que l’amour ne s’achève jamais.

Pour quelques-uns, cette impuissance est cause d’agacement, de déception, de révolte. Après s’être entièrement donnés, certains se fatiguent, se lassent, se découragent dans la recherche d’une intimité qui n’est jamais achevée. Ils croient à un leurre qui fascine sans cesse les humains et l’amour n’est plus à leurs yeux qu’une bien triste plaisanterie.

Mais, en regardant de plus près, nous nous apercevons que si l’amour n’est jamais atteint dans sa plénitude, c’est que la nature humaine présente une vitalité sans limite ; quelles sont donc les possibilités vitales qui peuvent surgir du fond de deux natures qui se survitalisent mutuellement ? Nul ne le sait…, même pas ceux qui s’unissent pour réaliser leur bonheur à deux.

C’est seulement au fur et à mesure qu’ils avancent en intimité que les conjoints voient sourdre toujours de nouvelles valeurs humaines insoupçonnées au début de leur union. Alors s’intensifie le désir d’aimer toujours, toujours pour s’élancer éperdument et s’ouvrir entièrement ; car l’amour veut encore l’amour, parce que la vie veut encore la vie. L’homme et la femme peuvent donc se dire l’un à l’autre en voyant grandir l’espérance d’un bonheur toujours plus profond : « Je t’aimerai toujours ».

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Pudeur conjugale

Pendant que l’intimité se poursuit, une tendance très nette vers le « secret à deux » s’accentue ; la vie humaine porte dans sa profondeur la pudeur d’elle-même. La vie est pudique.

Certains individus croient que les intimités et spécialement les intimités sexuelles n’ont pas à être vécues dans le secret puisqu’elles sont naturelles. La pudeur ne serait-elle pas l’expression d’une « hypocrisie bourgeoise » dont il faut se libérer ? Ceux qui se montrent si scandalisés en public devant des tenues sans réserve ne sont-ils pas les premiers à se comporter ainsi en privé ?

Mais ceux-là même qui qualifient d’hypocrisie une attitude de pudeur sont les premiers à se cacher pour témoigner leur affection d’une façon intime. Certes, leur esprit « libre » les incite à parler de leurs relations sentimentales et sexuelles à tout propos et hors de propos. Leur vulgarité et leurs gauloiseries, parfois bien lourdes, semblent leur conférer une indépendance d’esprit et les « prouesses » dont ils se vantent ne sont très souvent que de pauvres hâbleries de pure imagination. Il suffit que les circonstances les mettent « en vedette » dans la réalité pour qu’ils tombent en confusion ; leur esprit « indépendant de toute hypocrisie bourgeoise » se trouve à court et leur arrogance disparaît dans la honte.

La tendance à la pudeur, que certains suppriment si facilement en paroles, est trop constante pour n’être pas une des caractéristiques fondamentales de la vie.

En effet, plus la vie se livre intimement, plus elle a besoin pour s’ouvrir de restreindre le cercle des confidents. Elle ne peut s’exprimer qu’au niveau même du respect qu’on lui porte ; elle veut être considérée, reçue, comprise dans le sens même de son don. Toute interprétation erronée de son acte d’amour la violente au plus profond d’elle-même.

De sorte que deux personnes ayant évolué de plus en plus intimement dans leur don réciproque sont les seules capables de comprendre ce don mutuel à sa profondeur réelle. En revanche, les regards étrangers ne peuvent s’arrêter qu’à l’aspect superficiel du témoignage d’affection. Il s’ensuit que l’écart existant entre le sens profond de la vitalité amoureuse et l’aspect extérieur du don s’agrandit au fur et à mesure que l’amour s’approfondit.

Il est donc normal que la vie se dissimule pour se donner de plus en plus intimement. Dès que cet isolement est violé, elle se replie avec une réaction défensive. Seul le secret peut lui redonner la capacité d’un don sans réserve.

Ainsi l’amour entre homme et femme se révèle comme une progressive harmonisation de deux vitalités qui tentent de se compléter jusqu’au plus profond d’elles-mêmes. Dans une continuelle recherche de l’intimité humaine, ces deux puissances vitales s’acheminent vers le secret et le silence qui enveloppent l’infini mystère de la Vie.

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